Avec « Aicha can’t fly away », Morad Mostafa s’affirme comme auteur

Par Tahar Chikhaoui

Le récit tourne autour de Aicha, une jeune fille noire, la vingtaine, migrante venue, si l’on comprend bien, du Soudan. Aide ménagère, la caméra la suit sans presque jamais la quitter. Renfermée sur elle-même, taciturne, elle bouge peu dans un environnement, pourtant bien agité. Sur sa vie, nous savons peu de choses et nous ne saurons pas plus. Nous l’accompagnons longtemps tandis qu’elle est plongée dans ses activités de tous les jours. Puis, progressivement, les événements surviennent selon un rythme bien lent au début mais dont la lenteur diminue à mesure que le temps passe pour, ensuite, commencer à s’accélérer un peu plus à chaque fois qu’on s’approche de la fin, de façon, pur ainsi dire, exponentielle.

Un étrange rythme dramatique qui déconcerterait le spectateur habitué à une distribution équilibrée des événements. Les raisons de l’étrangeté du rythme dramatique aurait à voir avec l’étrangeté du personnage pris par la routine d’une activité quotidienne dans un monde qui lui est étranger, un monde qui la dépasse. Le premier événement survient lorsqu’on la voit remettre la clé de l’appartement où elle est employée à un jeune délinquant. Nous comprendrons plus tard qu’elle le fait sous le chantage. Le plus étrange c’est que le jeune dirige une bande hostile à une autre bande de jeunes noirs venus du sud. A la suite d’un violent braquage qui a jeté la vielle propriétaire de l’appartement dans le coma, Aicha refuse de remettre la clé du nouvel appartement auquel elle a été affectée. Elle subit de nouveau le chantage, plus visible cette fois, et pénètre dans un cercle subit de violence d’autant plus surprenant qu’il confine à l’horreur et au surréalisme. Le film glisse alors dans un registre différent de celui des films réalistes. Glissement déconcertant qui confirme, cependant, la violence à laquelle sont exposés les immigrés, une violence qui souffre, du reste, d’un terrible déficit de visibilité et, partant, de dénonciation. Il importe de souligner que les changements du rythme dramatique ainsi que le passage d’un registre à un autre s’effectuent de façon surprenante, imprévisible et irrégulière. Le refus de s’employer à programmer l’attente de ces changements ou si l’on veut le fait de s’employer à ne pas programmer cette attente constitue le secret et la force de la démarche de Morad Mostafa. Au début du film, nous atteignons le seuil de l’ennui à cause de cette routine silencieuse lorsqu’arrivent ces moments de retournement dramatique totalement imprévisible qui provoquent une déconcertation inversée. Là réside la dialectique de l’approche : dans une déconcertation redoublée et inversée qui mélange ce que veut bien distinguer la culture dominante entre le calme et l’agitation, la quiétude et l’inquiétude  selon des valeurs moralisatrices oppressantes et violentes qui conduisent dans le cas d’espèce aux formes les plus hideuses du racisme.

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